La situation juridique en Pologne
Les dérogations à la loi commune pour que l’abattage des animaux de boucherie puisse être conforme aux rites religieux, musulman (dans ce cas on parle de viande halal) ou juif (dans ce cas on parle de viande cachère) ont donné lieu au début des années 2010, en France, à de nombreuses polémiques. La principale dérogation consiste en la possibilité d’égorger l’animal encore conscient alors que le droit commun exige un étourdissement préalable. Les associations de protection des animaux ont toujours protesté contre cette pratique arguant du fait qu’elle entraîne une souffrance animale supplémentaire. Cependant le débat est resté relativement confidentiel, les filières de la viande et les communautés religieuses voyant dans cette discrétion le souci de préserver des intérêts économiques.
Situation en Europe
Au début du XX-ie siècle, sous la pression, notamment, des associations de protection des animaux, l’Europe renforce sa législation limitant l’abattage sans étourdissement. Certains de ses membres l’interdisent purement et simplement. D’autres exigent que les consommateurs soient informés du mode d’abattage par un étiquetage spécifique.
Les états européens se basent sur la Directive 93/119/CE et la décision 88/306 de la Communauté européenne. Dans la pratique, la situation est différente suivant les pays et évolue dans le temps.
La Norvège (depuis 1930), la Suède (depuis 1938), l’Islande, la Suisse (depuis 1893), la Grèce, le Luxembourg et six provinces d’Autriche n’autorisent aucune dérogation. La viande halal et casher est donc interdite ; en revanche, il est souvent permis d’en importer. Le cas de la Suisse est encore plus compliqué car l’importation de viande cacher est seulement autorisée pour la communauté israélite (la viande vient exclusivement de Besançon en France voisine). En Allemagne, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, et au Danemark, on observe une remise en cause de ces exemptions. En France et en Belgique, les associations de protection animale comme l’OABA tentent de sensibiliser l’opinion mais sans succès jusqu’ici. En Espagne, Irlande, Italie, il y a une dérogation sans débat public.
La Pologne l’autorise et confirme en 2012 son maintien .
Le sujet reste sensible dans tous les pays, dès qu’un gouvernement décide de faire évoluer sa législation, cela déclenche un tollé populaire.
Le projet DIALREL
Pour tenter de faire converger les différentes positions : religieuses, vétérinaires, amis des animaux, un groupe de travail européen est mis en place en 2006. Il s’agit du projet Dialrel (« Dialogue sur les abattages religieux ») créé par la commission européenne.
Le projet conclut au fait que l’absence d’étourdissement pre mortem accentue les souffrances animales. Les viandes cachères ne sont donc pas conformes à la réglementation européenne. Avant de trouver la solution de mise en conformité à cette réglementation, le 16 juin 2010 le Parlement européen vote un amendement dans le projet de réglementation sur l’étiquetage.
Historique en France
La première loi évoquant l’abattage rituel date de 1964. Seules quelques préfectures, comme Paris, avaient émis des règlements spécifiques. Le décret du 16 avril 1964 définit l’abattage rituel. Le décret du 23 septembre 1970 spécifie que l’abattage devra être pratiqué par un « sacrificateur » habilité par un organisme religieux lui-même. Trois organismes ont été à ce jour agréés, liés respectivement à la Grande mosquée de Paris, la Mosquée d’Évry et la Grande mosquée de Lyon. Mais ces organismes certificateurs présentent de nombreux dysfonctionnements, et celui de la mosquée d’Evry n’emploie aucun contrôleur.
Situation en France avant la polémique
– Une réglementation spécifique est donc applicable pour l’abattage rituel.
– Le gouvernement français, qui accepte l’argumentation des autorités juives françaises qui considèrent que cet étiquetage mettrait à mal la filière cachère française, se mobilise pour freiner ces initiatives.
Le 6 septembre 2010, le ministre de l’Intérieur (chargé des cultes), déclare à Paris : « Aujourd’hui, alors qu’un vote au Parlement européen pourrait imposer un étiquetage discriminant pour l’abattage rituel, nous restons particulièrement vigilants. Vous pouvez compter sur ma mobilisation et celle des députés français au Parlement européen pour que le projet n’aboutisse pas ».
– Le 25 octobre 2011, paraît un Règlement européen d’information des consommateurs sur les denrées alimentaires (R1169-2011) expurgé, sous la pression du gouvernement français, de toute obligation d’étiquetage des viandes en fonction du mode d’abattage.
– La filière viande est aussi contre cette étiquetage.
Elle a d’une part peur que des consommateurs ne se détournent des viandes provenant d’animaux non étourdis, d’autre part un intérêt économique à uniformiser l’ensemble de l’abattage vers cet abattage rituel. Cette filière a, en effet, d’elle-même développé de façon massive l’abattage rituel, constatant que celui-ci était plus simple en supprimant l’étape d’étourdissement et donc moins onéreux que l’abattage traditionnel.
La filière a donc profité de la dérogation exceptionnelle qui autorise l’abattage sans étourdissement pour les juifs et musulmans pour étendre l’utilisation de cette dérogation à une beaucoup plus grande échelle.
Les quatre grands groupes interprofessionnels (Syndicat national de l’industrie des viandes, Interbev, Fédération nationale des exploitants des abattoirs publics, Coop de France), qui représentent la majorité des abattoirs, ont jusqu’à présent pris position contre cet étiquetage. On pense au contraire qu’« ils craignent les associations de consommateurs et de protection des animaux ! ». Les industriels ne veulent donc pas de traçabilité et pèsent de tout leur poids auprès du Conseil de l’UE pour éviter qu’une telle mesure soit prise, reprenant l’argument avancé par les rabbins européens qui craignent qu’une telle mention ne stigmatise les communautés juives.
Conséquence sanitaire
D’une part, il n’y aurait aucun problème pour un non musulman ou un non juif à consommer de la viande abattue rituellement sauf pour les personnes soucieuses de la protection animale qui pensent que ce mode d’abattage entraîne une souffrance animale supplémentaire.
D’autre part, les bactéries E coli sont détruites par une cuisson longue ou à haute température des viandes, si celles-ci sont cuites à cœur, la température atteignant au moins 70 °C en toute part.
En revanche, comme le type d’abattage se généralise en France, certains consommateurs risquent d’utiliser de la viande à collier halal ou casher pour préparer des steaks hachés, des steaks tartares, donc crus.
Le risque d’une contamination grave par E coli est, dans ce cas, réel. Le ministère a pris cette question au sérieux, dans un rapport de 2007 il souligne que ce problème est accru dans les abattoirs pratiquant des abattages rituels. Ce qui inquiète les professionnels de l’abattage, La viande dans tous ses états, ce sont les règles d’hygiène que ne respecteraient pas le rite halal.
En effet, le halal présente « un risque bactériologique » car l’abattage rituel consiste à trancher tout le cou de la bête, œsophage compris, rendant alors possible la contamination de la viande par les matières présentes dans le système digestif de l’animal, et pouvant contenir la bactérie Escherichia coli.
Lors de l’abattage conventionnel, ce risque est évité car l’œsophage est ligaturé.
En attendant la mise en place de la traçabilité, les experts sont unanimes et conseillent de ne plus consommer de viande hachée sans bien la cuire et déconseillent de manger des steaks tartares fabriqués avec de la viande abattue en France.
Avis des communautés religieuses
Communauté musulmane
Les musulmans souhaitent développer le modèle halal français sur le modèle casher. Ils apprécient notamment la forte traçabilité de ce modèle qui évite bien mieux que dans la filière halal le risque de fournir de la viande illicite à des pratiquants. Ils sont donc, depuis longtemps, partisans d’une meilleure traçabilité et donc de l’étiquetage que propose l’Union européenne.
Cet étiquetage ne risque pas de poser de problème économique à la filière halal pour plusieurs raisons.
1. Ce marché est en pleine expansion, deux fois plus important que le marché bio.
2. La communauté musulmane est suffisamment importante pour absorber la totalité de la viande halal sans craindre un éventuel boycott des non musulmans ou des associations de consommateurs.
3. Cet abattage sans étourdissement est plus simple, et donc moins cher que l’abattage traditionnel. Si les prix de l’abattage non halal augmentaient pour respecter les règles européennes, la viande halal pourrait avoir un avantage concurrentiel supplémentaire.
4. Des musulmans très religieux, qui ne consomment actuellement pas de viande halal par peur de viande non conforme du fait du manque de traçabilité, pourraient alors se laisser séduire par cette nouvelle viande halal plus rigoureuse.
Par contre, depuis le début de la polémique, la communauté s’oppose à la stigmatisation de sa religion. Elle critique le fait que le manque de traçabilité pointé du doigt par les politiques et les médias, qui concerne tout l’abattage rituel, soit systématiquement déformé en « polémique halal » alors que le manque de traçabilité est dû uniquement à la communauté juive.
Par la suite, les musulmans décident de créer une commission théologique afin de vérifier si les lois religieuses permettent ou non l’étourdissement pré-mortem. Cette idée fait du chemin chez les musulmans, lesquels pourraient accepter de se mettre en totale conformité avec la loi européenne : traçabilité et étourdissement.
Communauté juive
Le marché de la viande casher ne peut pas fonctionner économiquement sans des consommateurs non juifs. En effet, les règles très strictes de la cacherout font rejeter hors de la filière deux carcasses sur trois.
De plus, du fait de la proscription portant sur la consommation des parties interdites, dont le tendon inguinal, c’est-à-dire le nerf sciatique, cette opération, pratiquée quasi universellement jusqu’au xixe siècle, était délicate et peu rentable, la viande possédant un aspect « déplaisant ». De ce fait, les autorités rabbiniques européennes, ainsi que le grand-rabbin de New York, ont jugé préférable de déclarer les parties arrières des animaux impropres à la consommation, et les bouchers les remettent dans le circuit de distribution des viandes non kascher. Ces parties, qui s’étendent jusqu’à la huitième côte pour les bovins, et incluent les rumstecks, filets, faux-filets, bavettes, onglets, entrecôtes et côtes, sont les morceaux de première catégorie, les plus tendres de l’animal. Si ces meilleurs morceaux venaient à être difficiles à revendre aux non juifs à cause de l’étiquetage, le modèle économique de la filière casher s’effondrerait.
Les responsables de la communauté ont donc toujours fermement combattu les propositions d’étiquetage.
Sur le deuxième point concernant les risques sanitaires de l’abattage rituel, certains membres de la communauté pensent que ces risques ne concernent que l’abattage halal. Ils pensent en effet que les règles très strictes de la cacherout offrent une protection sanitaire supérieure aux autres types d’abattage. Le consistoire est en possession d’études montrant qu’il n’y pas de risques bactériologiques spécifiques.
Contrairement aux musulmans, les autorités religieuses juives pensent que leurs règles ne permettent pas d’accepter l’étourdissement des animaux. Ils ne sont donc pas prêt à s’extraire de cette dérogation.
Alors que ses communautés juive et musulmane ne dépassent pas à elles deux les quelques dizaines de milliers d’individus, la Pologne est un des plus importants pays européens exportateurs de viande estampillée halal ou casher. Selon des chiffres rapportés par l’AFP, en 2011 ces exportations ont produit un chiffre d’affaires total de 200 millions d’euros.
Le 8 juin 2012, cependant, à la demande des organisations polonaises de protection des animaux, le procureur général a saisi la Cour constitutionnelle pour statuer sur la conformité avec la loi fondamentale de la disposition ministérielle autorisant l’abattage rituel. Des scientifiques écrivent une lettre au premier ministre car ils considèrent barbare cette pratique. Le 27 novembre 2012, la Cour constitutionnelle juge l’abattage rituel contraire à la Constitution mais le gouvernement assure que la Pologne continuera à se conformer à la directive européenne autorisant ce type d’abattage.